Le supermarché

Ça me prend, sans prévenir, devant le rayon des conserves de haricots et flageolets, et celui des herbes fraîches. Au début c’est incompréhensible, ces crises de larmes devant un sachet de basilic, avec un panier en plastique vert à la main. Je sors la liste de courses de ma poche mais mes yeux sont brouillés, comme ceux que je mangeais tous les jours vers onze heures du matin lorsque je travaillais toujours. Cuisinés par un chef, les oeufs pas les yeux, étaient toujours très bons, aspergés de sauce Tabasco rouge coquelicot, affalés sur un gros lit de sourdough. Avec un bon couteau à steak, il était facile d’en faire quatre bouchées et je repoussais l’assiette salie mais vide, repue. Je nettoyais mon gosier à coup de décaféiné au lait d’avoine, mon breuvage magique. Mais je disais, mes yeux sont en larmes, ils chialent sans aucune autre raison que celle de regarder un bout de feuille pointue et odorante, ou encore un petit pot de crispy shallots. Ça n’a aucun sens. Il m’a fallu des mois à écumer les supermarchés pour comprendre d’où venait le problème. L’odeur un peu écoeurante des fruits trop mûrs se mêle à la fraîcheur de la climatisation, le claquement des talons de mes Clarks font rebondir les miettes égarées sur le carrelage blanchâtre, la radio passe les bangers pour lesquels je presse pause sur mon téléphone sans enlever les écouteurs de mes oreilles, afin d’écouter la musique qui me surplombe tout en évitant qu’on ne m’adresse la parole, like a true aquarius. Ça m’as pris d’un coup, comme on a une épiphanie ou une envie de pisser, comme ce jour où j’ai saisi le concept d’absence devant un massif de fleurs, après avoir fumé de la sauge des devins. Et encore une fois, cette absence s’est manifestée et s’est matérialisée dans un endroit inattendu à un moment inattendu. Pas dans le lit, pas dans le métro, pas dans le club, pas dans la rue. Mais dans le supermarché. En achetant du basilic.

Publicité

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s