Annoncer qu’on a perdu. Perdu quoi? Perdu quelqu’un, à quelqu’un. Pour quoi faire? Juste pour le dire, simplement. Qu’il est simple de se laisser fondre dans les bras, les jambes, les mains et le picotement des cheveux coupés courts. Qu’il est simple de se laisser aller à danser, éviter de dormir pour fuir les images des rêves, affronter la nuit avec bravoure. Ou ce que l’on croit être de la bravoure. Alors qu’en fait c’est par lâcheté qu’on ne va pas dormir. Et accepter de fermer les yeux seulement lorsque l’on sait qu’il y a un barrage entre soi et les larmes, entre soi et les songes. Annoncer qu’on a perdu, sans que personne ne puisse nous aider à retrouver, puisque c’est une quête sans but. Annoncer la perte, annoncer la mort, attendre des autres les mots qui ne nous viennent plus. Attendre la tape sur l’épaule, la moue gênée, la tête penchée, le mot doux, le regard compatissant, n’importe quoi. Attendre qu’on nous demande mais ça va? Annoncer qu’on a perdu l’espoir qu’on avait placé dans la mauvaise personne, la mauvaise situation, la mauvaise intention. Annoncer que les tempêtes ont tout emporté, même notre bonne étoile, tellement le vent a soufflé. Annoncer que seule la danse semble être la réponse, si stupide soit-elle, si creuse paraît-elle. Verser l’eau qui nous contient car de toutes manières on est plein et on ne peut plus rien recevoir. Seulement verser. Donner. Mais donner à qui? Annoncer quoi? À qui? Aux inconnus, aux passants dans la rue, au livreur de fleurs, au caissier du supermarché, aux autres, ceux qui ne signifient rien, aux ancêtres que l’on ne connaissait pas hier. Être comme une boîte tupperware qu’on place sur le sol lorsque la tempête fait rage et pleure dans la cuisine par le toit en verre qui fuit. Pleine d’eau enragée, pleine de pluie souillée, pleine de larmes célestes. On a remis le couvercle sur cette boîte qu’on a ensuite rangée, de peur de la renverser, au lieu de la vider dans l’évier et de la sécher délicatement avec le coin d’un torchon. Être comme un signal brouillé, une station radio que l’on arrive pas à capter, dans cette voiture qui part vers la côte, là où la mer est basse. Un simple grésillement, un triste brouillard informe. Celui qui nous enveloppe sur la lune, là où on a marché ensemble, il y a des années. Toutes les pertes se mélangent, les deuils sont multiples et semblent se rejoindre en une seule et même hydre terrifiante. Annoncer qu’on a perdu des êtres, parce qu’ils sont morts, ou parce qu’ils sont encore vivants, mais qu’ils n’appartiennent plus à notre vie. Pour de drôles de raisons.