Tu te souviens quand on avait encore des magnétoscopes et qu’on pouvait enregistrer des films sur des cassettes VHS réutilisables? Et que parfois ça foirait, souvent d’ailleurs. L’enregistrement ne se lançait pas et le lendemain il n’y avait rien que du noir, du bruit, pas d’image ni de son, pas de souvenirs en fait. Le film s’était bien déroulé mais il n’était gravé nulle part. Impossible de le rejouer, de revenir en arrière, de l’analyser ou de vérifier ce qu’on avait vu ou entendu. Ben tu sais, ta mémoire c’est pareil, parfois l’enregistrement foire. Surtout après un gamay, un pinot noir, un chardonnay et une pale ale. Ça fait comme un trou noir qui avale toutes les images, toutes les sensations. Ça n’efface en rien l’événement, il est imprimé dans la chair et pas dans la tête, mais ca le rend moins réel tout de même, comme s’il n’avait pas de substance. Tu deviens un somnambule qui part en virée nocturne, tu peux marcher, parler, rire, faire l’amour, danser mais tu ne te souviens pas. Un trou de mémoire ils appellent ça. Un trou dans la mémoire, comme une cassette VHS vide d’images, ou un gruyère. Oui voilà, ta mémoire devient un gruyère, le reste est là, le reste est bon, mais il manque des bouts, comme s’ils n’avaient jamais existé, tu as oublié d’enregistrer le film de ta vie, tu as oublié de te souvenir. Mais après tout ce n’est pas bien important, ou si peu. Tu te souviens quand, ils disaient. Moi non plus.