Si j’avais une app pour noter ma journée sur dix, comme celle que j’utilise pour suivre le cours du cycle de mes règles, je lui aurais mis un solide deux, en pressant bien le bouton vague à l’âme. Ce genre de jours maussades, où tout fout le camp, comme du rouge sur du blanc. Pourtant j’ai mis mon joli crop top rose fluo, celui qui vient de Glasgow, et les sandales qui ont créé une marque de bronzage en carré sur mes pieds, qui ne veut plus partir depuis plus d’un an. Mais déjà en haut de la côte, à peine partie, je dois enlever mon masque car je n’arrive pas à respirer en roulant et je me rends compte que les rues sont déjà plus polluées et que c’est le jour de la réouverture des magasins. Une queue immense devant Primark, ça me dégoûte. Je n’arrive plus à porter mon masque, j’étouffe. J’étouffe aussi de voir autant de gens, partout, englués comme des mouches, à tourbillonner sur eux-mêmes. Les trottoirs sont trop petits, et je suis cernée par leur corps qui me dégoûtent, j’étouffe. Le bruit est lui aussi assourdissant, les voitures hurlent, le métro aérien enrage en faisant vibrer le tunnel sous lequel je transpire. Je sens mes épaules crispées, ma poitrine scellée, mes intestins noués derrière la peau de mon ventre, je parviens même à percevoir cette petite douleur au creux du corps qui m’avait finalement quittée. Enfin je pensais qu’elle m’avait quittée, apparemment elle était juste sous anesthésie. Ce sont comme des cris dans ma tête qui ne veulent pas se taire. Vite retrouver ma maison. Vite retrouver mes colocataires. Vite retrouver ma chambre, mon tapis tunisien avec un baobab dessus, et ma tasse Holybelly de deux-mille-quinze. Et quand tout est calme, de nouveau, aller chercher la petite douleur au creux du corps, pour lui poser des questions, comme un flic zélé. D’abord je lui promets de ne plus essayer de l’endormir mais de l’écouter, du matin au soir s’il le faut. Elle me raconte qu’elle ne sait pas comment lutter contre les enfants de New-York, elle qui est une petite douleur de campagne, elle qui ne connaît pas ses tables de multiplication ni comment appliquer un pourcentage, elle qui parle un second language mais ne sait pas comment être aussi polie avec les comptables. Ma petite douleur me confie qu’elle n’aime pas discuter avec ceux qui ne lui posent pas la question et toi? ou pire encore qui n’écoutent pas ses réponses aux et toi?, qu’elle se sent comme un marche-pied sur lequel on grimpe pour atteindre l’étagère du haut, qu’elle pense parfois qu’elle pourrait glisser du creux de mon corps et se dissoudre sur le sol sans que personne ne s’en aperçoive, sans que personne ne mette sa paume brûlée par le soleil pour la recueillir. Elle me dit qu’elle a eu beau offrir toute sa douceur de petite douleur, ses sourires, son sommeil, son appétit, sa santé, qu’elle a eu beau s’affamer, se noyer, s’enfumer, se priver et tout quitter, on l’a balayée en dix minutes, là, dans un pub rempli de chiffres et de boîtes en carton vides.

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